Nouvel épisode dans l’une des nombreuses affaires concernant Monsieur Dieudonné M’Bala M’Bala. Le 10 octobre dernier la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’expression d’une idéologie antisémite et négationniste ne saurait être assimilée à un spectacle, même satirique, et ne peut donc bénéficier de la protection de l’article 10 relatif au principe de liberté d’expression.
Pour rappel, Dieudonné contestait sa condamnation pour injure antisémite résultant de son spectacle au Zénith en 2008, à l’occasion duquel il fit remettre par un figurant revêtu d’un pyjama à carreaux sur lequel était cousue une étoile de David, le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence » au négationniste Robert Faurisson.
Le 27 octobre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris a déclaré le requérant coupable de délit d’injure et l’a condamné à une amende de 10 000 euros, ainsi qu’à verser un euro de dommages et intérêts à chacune des huit parties civiles dont la constitution avait été déclarée recevable.
Dieudonné avait soutenu l’excuse de provocation et l’intention humoristique. A cette occasion, le Tribunal avait rappelé que le droit à l’humour connaît des limites, et spécialement le respect de la dignité de la personne humaine.
Ainsi, selon le Tribunal, en annonçant clairement son désir de pousser à son comble la provocation antisémite et en honorant à cette fin publiquement une personne négationniste telle que Robert Faurisson, le prévenu a très largement excédé les limites admises du droit à l’humour et à la provocation.
Après la confirmation du jugement par la Cour d’Appel de Paris, l’affaire a ensuite été portée devant les juges de la Cour de Cassation qui ont, par un arrêt du 16 octobre 2012, retenu que le fait de tourner en dérision la déportation et l’extermination des juifs constituait à l’égard de l’ensemble des personnes d’origine ou de confession juive un mode d’expression à la fois outrageant et méprisant qui caractérisait l’infraction d’injure poursuivie.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a tout d’abord rappelé que « il ne fait aucun doute que tout propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention se verrait soustrait par l’article 171 à la protection de l’article 10 »2.
Elle a dit n’avoir « aucun doute » sur le caractère fortement antisémite de la scène litigieuse. Elle estime qu’en faisant monter sur scène le négationniste Robert Faurisson, Dieudonné ne s’était pas livré à « un spectacle (…), même satirique ou provocateur » mais à « une démonstration de haine et d’antisémitisme« , ainsi qu’à une « remise en cause de l’Holocauste ».
Elle remarque également que l’intéressé est un humoriste ayant marqué son fort engagement politique en se portant candidat à plusieurs élections. La Cour observe que les réactions du public montrent que la portée antisémite et révisionniste de la scène a été perçue par les spectateurs (ou au moins certains d’entre eux) de la même manière que par les juges nationaux, la phrase « Faurisson a raison » ayant notamment été criée dans la salle du Zénith.
La Cour considère donc que la soirée avait perdu son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un meeting. Dès lors, le requérant ne saurait prétendre, dans les circonstances particulières de l’espèce et au regard de l’ensemble du contexte de l’affaire, avoir agi en qualité d’artiste ayant le droit de s’exprimer par le biais de la satire, de l’humour et de la provocation.
Les juges voient dans cette mise en scène une démonstration de haine et d’antisémitisme visant à remettre en cause l’holocauste et l’expression d’une idéologie qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention, telle que l’exprime son préambule, à savoir la justice et la paix, qui ne peut être assimilée à un spectacle, même satirique ou provocateur, et qui ne relève pas de la protection de l’article 10 de la Convention.
1 "Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant (...) un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention (...)"
2 Seurot c. France n°57383/00, 18 mai 2004