Par un arrêt du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation solennelle, a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant qu’une société qui en a absorbé une autre dans le cadre d’une fusion peut, à certaines conditions, être condamnée à une peine pour des faits commis par l’absorbée avant la fusion.
Ce revirement était toutefois attendu et fait l’objet de plusieurs restrictions.
À noter que cet arrêt fait l’objet d’une note explicative de la part de la Cour de Cassation publiée sur son site.
Conformément à l’article 121-1 du Code pénal, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
Aussi, la chambre criminelle de la Cour de Cassation estimait que cet article devait s’interpréter comme interdisant d’engager des poursuites pénales contre une société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ne perde son existence juridique par l’effet d’une fusion-absorption.
Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne avait retenu, à l’inverse, que les dispositions de l’article 19, 1 de la directive 78/855 du 9 octobre 1978 (dite « Directive fusion »), devaient être interprétées en ce sens qu’une fusion entraîne la transmission à la société absorbante de l’obligation de payer une amende infligée après la fusion pour des infractions commises par la société absorbée avant cette opération (CJUE 05.03.2015, aff. 343/12).
La CJUE rejetait ainsi l’interprétation anthropomorphique (i.e., assimilant une personne morale dissoute à une personne physique décédée) au profit d’une interprétation économique (l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée se poursuit dans le cadre de la société absorbante).
A noter que plusieurs juridictions françaises avaient déjà retenu la possibilité de condamner l’absorbante au titre de pratiques commises par l’absorbée. C’était notamment le cas de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui avait statué en ce sens à propos d’atteintes au droit de la concurrence et de pratiques commerciales abusives, et du Conseil d’Etat qui avait retenu cette solution à propos de sanctions pécuniaires prononcées par le régulateur boursier de sanctions fiscales.
La solution posée est la suivante : le juge qui constate la réalisation d’une fusion-absorption entrant dans le champ de la « directive fusion » et ayant entraîné la dissolution de la société poursuivie peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
Le transfert de responsabilité pénale à l’absorbante est toutefois soumis aux conditions suivantes :
Il convient également de noter les restrictions additionnelles suivantes :
En outre, les juges de la Cour de cassation rappellent que :
« l’existence d’une fraude à la loi permet au juge de prononcer une sanction pénale à l’encontre de la société absorbante lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale ».
Cette précision permet ainsi de sanctionner pénalement l’absorbante quand une fraude est établie (lorsque le but de la fusion est de soustraire l’absorbée à sa responsabilité pénale), y compris pour une fusion intervenue antérieurement au 25 novembre 2020.
La Chambre criminelle précise que :
« si la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point, sa doctrine, qui ne saurait ainsi constituer un revirement de jurisprudence, n’était pas imprévisible » et « est donc applicable aux fusions–absorptions conclues avant le présent arrêt ».