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Intelligence Artificielle : quels enjeux juridiques ?
Actualité
30/3/20

COVID-19 et exécution des contrats : quid de la Common Law ?

Alors que le Covid-19 ne cesse de se développer dans le monde, de nombreuses entreprises européennes s’interrogent sur les conséquences de la pandémie sur l’exécution des contrats. La pandémie, et les bouleversements économiques qu’elle suscite, peuvent-ils relever du régime de la force majeure ? Constituent-ils un cas d’imprévision ? De fait du prince ?

Les interrogations sont menées généralement au regard du seul droit français. Or de nombreux contrats d’affaires ont une dimension internationale et sont souvent soumis à des droits de Common Law. L’occasion est alors de rappeler quelle est la situation dans le droit anglais, qui est la principale source de la Common Law, et de distinguer les notions qu’il emploie, de nos concepts de force majeure ou d’imprévision.

Avant toute chose, il est bon de rappeler que le droit anglais, auquel sont soumis nombre de contrats internationaux, attache une importance particulière à la sécurité juridique dans l’intérêt du commerce et au souci de laisser chaque contractant supporter les risques des mauvaises affaires qu’il fait. Cela ne signifie pas nos voisins britanniques refusent de mettre fin à un contrat dans les circonstances que nous vivons.

Abstraction faite des nombreuses clauses qui peuvent régler les difficultés actuelles (et notamment la Material Adverse Effect clause1 ou MAC Clause), et de l’economic duress2 (équivalent de notre violence économique) deux outils juridiques peuvent être mobilisés : la frustration, tout d’abord, les clauses de force majeure, ensuite.

1. La frustration

La frustration est possible lorsque nous sommes en présence d’un évènement imprévu, indépendant des parties qui rend impossible l’exécution ou qui change la nature du contrat. En ce sens, cette notion est plus large que notre force majeure qui se contente de cette condition d’impossibilité d’exécution. L’exemple historique de cette notion, (so british) permet ici de comprendre.

Dans l’affaire dite coronation case3 un particulier avait loué pour deux jours un appartement situé sur une avenue londonienne dans le but de pouvoir observer depuis les fenêtres de cet appartement le cortège du couronnement du roi Édouard VII. Le roi étant tombé malade, la cérémonie du couronnement fut annulée. La question était de savoir si le locataire devait néanmoins payer le prix qui avait été stipulé pour la location de courte durée de l’appartement. Bien que le passage du cortège n’était pas une condition déterminante de la conclusion de la convention, la Cour considéra que le contrat devait être considéré comme frustrated et que les deux parties devaient être déchargées de leur engagement.

Deux différences apparaissent ici par rapport à notre théorie de l’imprévision de l’article 1195 du Code civil. La disparition de l’élément essentiel ne conduit nullement à une révision du contrat mais à une décharge des obligations des parties.

En droit français, nous traiterions plutôt cela sous l’angle de la caducité (ou l’erreur sur les motifs). Ou l’on voit bien que la frustration n’est ni la force majeure (car plus large), ni l’imprévision (car plus radicale). Les juges se montrent généralement assez restrictifs pour admettre cette frustration car il ne s’agit pas d’invoquer cette notion pour échapper à une mauvaise affaire.

En voici un exemple jugé il y a peu avec l’épidémie du SRAS.

Un juge de Hong Kong4 a ici rejeté la demande d’un locataire vis-à-vis de son bailleur sur le fondement de la frustration qui faisait valoir que la décision du département de la santé, suite à l’épidémie du SRAS, de confinement obligatoire avait rendu l’exécution du contrat de bail impossible. Le juge rejette la demande car le confinement portait sur 10 jours ce qui n’était rien en comparaison de la durée du bail (deux ans).

Bien que le SRAS représentait un évènement imprévu, « it did not significantly change the nature of the outstanding contractual rights or obligations ». La frustration pourrait néanmoins parfaitement jouer pour le COVID-19 qui est susceptible de : rendre indisponible un bien qui devait être livré à une date précise, d’entrainer un défaut d’une source d’approvisionnement ou de conduire à déclarer une marchandise hors du commerce juridique. Lorsque cette notion joue, elle entraine la résiliation automatique du contrat et la restitution des sommes versées.

L’interprétation restrictive de la frustration devrait conduire à prêter attention aux clauses de force majeure.

2. Les clauses de force majeure

La force majeure n’est pas un concept juridique dans les pays anglo-saxons comme il l’est dans notre droit (aujourd’hui codifié à l’article 1218 du Code civil). Les juristes anglo-saxons utilisent l’expression pour désigner une force supérieure, qui échappe au contrôle de l’une ou l’autre des parties, et susceptible d’entraver l’exécution du contrat.

Cela renvoie couramment aux Acts of God (le cas fortuit), mais également aux grèves, à l’impossibilité radicale de se fournir en matières premières…. La plupart du temps cette force majeure est contractualisée dans les contrats soumis à la common law… Il serait tout à fait possible de se référer ici, de manière précise, au COVID-19. Ces clauses de force majeure permettent ainsi de suspendre l’exécution du contrat, d’éviter une responsabilité, de résilier si l’évènement se poursuit, de remettre une dette….

La force majeure est donc généralement ici un risque qui a été intégré par les contractants. Au cas où une remise de dette est faite par le créancier (une diminution de loyer par exemple), il est important de rappeler que la common law exige de la part du débiteur une contrepartie (consideration) même symbolique.

À défaut, le droit britannique considère que l’engagement n’a qu’une portée morale (et non juridique) ce qui signifie que la seule porte de sortie est le recours au juge et à l’Equity. Un recours bien aléatoire qui suppose de démontrer que le créancier a brisé la confiance légitime de son contractant. Il faut donc veiller à prévoir cette contrepartie.

En conclusion, il est donc important de relire son contrat et plus particulièrement ces clauses relatives à la force majeure, les MAC clauses, les contract termination… Dans le silence de la convention, l’on peut songer à invoquer cette frustration.

Et bien évidemment, il faut aussi anticiper les difficultés, ce qui veut dire pour les contrats d’affaires soumis à la common law introduire ces clauses susceptibles d’encadrer les difficultés et de faire supporter le risque à telle ou telle partie. Plus que jamais le contrat est le bon outil en cas de crise. A Londres, comme à Paris ou New York.

Jean-Michel BRUGUIERE

1 Cette clause que l’on retrouve également en France vise à protéger l’un des contractants des conséquences défavorables d’une modification importante des circonstances avant la conclusion définitive du contrat ou au cours de l’exécution. Elle pourrait permettre de se désengager, de renégocier… On retrouve cette clause dans des opérations de fusion ou bien dans des accords industriels.

2 Cette notion a vocation à jouer notamment si des contractants indélicats viennent à profiter de la situation pour augmenter les prix ou forcer une personne à contracter. Cela a été admis dans l'affaire Kolmar Group AG v Traxpo Enterprises [2010] en présence d’un vendeur de méthanol profitant de l’urgence absolue des besoins de l’acquéreur pour augmenter le prix de façon déraisonnable.

3 Krell v Henry [1903] 2 KB 740

4 Li Ching Wing v Xuan Yi Xiong [2004] 1 HKLRD   754,

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