Nous poursuivons notre analyse des questions de titularité du copyright avec le contrat de commande en nous appuyant ici exclusivement sur le droit britannique selon nous beaucoup plus riche que le droit américain (pour celui-ci, soulignons juste que selon l’article 101 du Copyright Act, l’œuvre de commande est considérée comme une composante des works made for hire à condition, d’une part, de faire partie de la liste des neuf œuvres désignées au 2° et, d’autre part, d’avoir spécialement prévu par un contrat le rattachement à cette catégorie).
Sous l’empire de la loi de 1988 (CDPA), la position du droit britannique est claire. Le copyright sur une œuvre de commande appartient à l’auteur de l’œuvre qui est commandée. En ce sens, nous retrouvons la logique du droit français1. Le juge britannique laisse toutefois la porte ouverte à des situations de cession implicite du copyright comme en témoigne cette décision Griggs Group v. Raben Footwear2 rendue en 2004 mais qui, il est important de le souligner, n’est en rien une décision isolée.
L’entreprise Griggs distribue les célèbres chaussures Dr. Martens. Pour la réalisation d’un logo, elle fait appel à une agence de publicité qui se tourne à son tour vers un designer (M. Evans) qui travaille en free lance et qui était payé quinze pounds de l’heure. Aucun contrat de commande n’est passé. En revanche, une facture est établie entre l’agence de publicité et le designer qui faisait, semble-t-il, état de points de vente des chaussures avec ce logo en Angleterre.
Le designer qui pensait vraisemblablement être investi du copyright transmet par la suite son droit à une société concurrente de Griggs en Australie (Rabben Footwear). Griggs qui estimait être le cessionnaire « naturel » des droits assigna donc en contrefaçon Rabben Footwear.
Pour les juges, Hight Court, comme Court of Appeal, Monsieur Evans était bien le premier titulaire du droit. Néanmoins le copyright avait été implicitement transféré à Griggs.
Pour parvenir à cette conclusion, les juges vont considérer qu’une telle solution est le seul moyen de donner une pleine efficacité commerciale au contrat de commande car il était évident que Griggs avait commandé un logo pour pouvoir s’en servir utilement. Il était donc fondé à interdire aux tiers l’utilisation de sa création.
Pour les besoins de son raisonnement, les juges font appel au test de l’officious bystander mis en valeur en 1926 par MacKinnon LJ dans l’affaire Southern Foundries Ltd v Shirlaw. L’idée de ce test (qui déborde très largement la matière de la propriété intellectuelle) est de solliciter fictivement un observateur curieux et averti afin de l’interroger sur la nécessité d’introduire dans un contrat une stipulation particulière ou si celle-ci peut être considérée comme implicite. Cette personne idéale, que personne n’a jamais véritablement croisée dans la rue, évoque tous les standards auxquels le juge fait appel dans le droit en général (feu le « bon père de famille » dans le Code civil) et la propriété intellectuelle en particulier (« L’homme du métier », par exemple, dans le droit des brevets ou « L’observateur averti » dans le droit des dessins et modèles).
Dans la décision Griggs le juge Jacob LJ observe :
« in this case, if an officious bystander had asked at the time of contract whether Evans was going to retain rights in the combined logo which could be used against Griggs, or against anyone to whom he sold the rights, anywhere in the world, other than in respect of point of sale material in the UK, the answer would surely have been "of course not" ».
L’on aura compris que pour l’observateur averti du contrat passé entre Griggs et M. Evans (mais à vrai dire en bonne logique, il eût fallu admettre deux cessions implicites : entre Griggs et l’agence de publicité et entre l’agence de publicité et M. Evans), il est évident que le copyright ne pouvait être retenu par le designer et cédé à un tiers contre les intérêts de Griggs.
Ce test qui introduit de la souplesse dans l’interprétation des contrats est généralement critiqué par les praticiens et la doctrine pour l’insécurité juridique qu’elle entraine. Il nous semble tout au contraire d’une grande richesse et en tous points semblable aux analyses suivies par le juge en France sur le fondement de l’ancien article 1135 du Code civil3 (aujourd’hui article 1194 du Code civil : « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi »).
1 Selon l’article L. 111-1 al. 3 du Code de la propriété intellectuelle : « L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa ».
2 Griggs Group v. Raben Footwear FSR (31) 673 2004
3 Pour un exemple célèbre en matière de droit d’auteur CA Paris 17 janv. 2007 Propr. intell.2007, no 23, p. 216, obs. Lucas.