L’arrêt était attendu ! Le 21 juin dernier, la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt dans l’affaire opposant le Ministre de l’Économie au groupe Expedia1.
Pour rappel, cette affaire trouve son origine dans une enquête diligentée en 2011 par la DGCCRF au terme de laquelle l’administration avait critiqué deux clauses contenues dans les contrats conclus avec les hôteliers organisant la mise en ligne des offres de ces derniers sur les canaux de réservation du groupe Expedia, notamment sur ces sites Internet :
Infirmant pour partie le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 20152, la Cour d’appel de Paris prononce la nullité de ces clauses sur le fondement de l’article L. 442-6-II d) du Code de commerce dans certains cas de figure et énonce également que, dans les hypothèses qui ne seraient pas couvertes par ce dernier texte, ces deux clauses, par leur effet cumulé, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6-I-2° justifiant le prononcé de leur nullité.
Le Tribunal de commerce de Paris avait tout d’abord écarté l’exception d’incompétence territoriale des juridictions françaises soulevée par le groupe Expedia qui considérait que la clause attributive de compétence en faveur des tribunaux anglais insérée dans les différents contrats devait recevoir pleine application.
Le Tribunal avait fait application de l’article 5-3 du Règlement dit « Bruxelles I » selon lequel :
« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : […] en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire »3.
Le lieu du fait dommageable s’entendant à la fois du lieu où le dommage est survenu et du lieu de l’évènement causal, le Tribunal avait rappelé que lorsque ces lieux ne sont pas identiques, le demandeur peut attraire le défendeur au choix devant le tribunal de l’un de ces lieux et avait ensuite jugé que le lieu de survenance du dommage était la France, eu égard à la localisation des hôtels signataires des contrats incriminés.
La Cour d’appel confirme le jugement sur ce point au terme du raisonnement ci-après :
Le Tribunal avait jugé que les obligations mises en cause en l’espèce relevaient de la matière contractuelle de sorte que le Règlement dit « Rome I » devait recevoir application afin de déterminer la loi applicable4.
Afin de parvenir à cette conclusion, le Tribunal avait notamment souligné que le Ministre s’était borné à demander la nullité des contrats et n’avait jamais fait référence à un quelconque comportement quasi-délictuel, si bien que les obligations mises en cause étaient des obligations contractuelles, même si le demandeur n’était pas partie au contrat.
Faisant application de l’article 3-1 du Règlement en vertu duquel le contrat est régi par la loi des parties, le Tribunal en avait conclu que la loi anglaise était applicable puisque les contrats le prévoyaient clairement.
Toutefois, le Tribunal avait envisagé une éventuelle dérogation à l’application de la loi anglaise du fait de l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce envisagé comme loi de police au sens de l’article 9 du Règlement Rome I.
Le Tribunal avait conclu en jugeant que le premier texte invoqué par le Ministre, c’est-à-dire l’article L. 442-6-II ne constitue pas une loi de police car l’interdiction qu’il édicte vise tout particulièrement le secteur de la grande distribution et ne peut pas être considérée comme cruciale pour la sauvegarde de l’ensemble de l’économie.
À l’inverse, le Tribunal avait jugé que le second texte invoqué par le Ministre, l’article L. 442-6-I-2°, est une disposition dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays « au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police ».
C’est ce raisonnement que la Cour d’appel infirme pour les raisons ci-après exposées :
Le Tribunal avait mis hors de cause les sociétés Expedia France et Expedia Inc au motif qu’elles n’avaient pas signé les contrats litigieux.
La Cour confirme qu’en effet, ces sociétés ne peuvent pas être sanctionnées sur le fondement de l’article L. 442-6-II puisque ce texte prévoit la nullité de clauses de contrats auxquels elles ne sont pas parties.
En revanche, la Cour infirme le jugement s’agissant de la mise en cause de ces deux sociétés sur le fondement de l’article L. 442-6-I-2° dans la mesure où le déséquilibre significatif peut revêtir d’autres formes que la signature d’un contrat dont le contenu serait déséquilibré.
Précisément, la Cour retient plusieurs éléments afin de mettre en cause les sociétés Expedia France et Expedia Inc.
D’abord, la Cour souligne que les gestionnaires des sites www.expedia.fr et www.hotels.com sont pleinement impliqués dans les pratiques puisque leur page d’accueil met en avant une garantie d’alignement des prix sur les prix concurrents.
Ensuite, ce sont les commerciaux d’Expedia France qui démarchent les hôteliers pour les faire adhérer aux programmes de commercialisation via les sites exploités par le groupe et ce sont ces mêmes employés qui animent la relation commerciale avec les hôteliers.
Enfin, le site www.expedia.fr est géré par Expedia Inc.
La Cour conclut qu’au vu de ces éléments, les sociétés Expedia France et Expedia Inc sont pleinement impliquées et que, même si elles ne sont pas signataires des contrats, celles-ci ont concouru au dommage causé aux hôteliers en fournissant des moyens matériels et humains nécessaires au démarchage des hôteliers et à la conclusion des contrats litigieux. Celles-ci doivent donc être poursuivies sur le fondement de l’article L. 442-6-I-2°.
Là encore, la Cour infirme le jugement qui avait retenu que les clauses de parité et de disponibilité de la dernière chambre ne pouvaient pas se voir appliquer l’article L. 442-6-II qui frappe de nullité les clauses ou contrats permettant « de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant » au motif que cette interdiction n’était pas une loi de police et que la loi anglaise qui est la loi du contrat ne comporte pas une telle interdiction.
C’est en effet un tout autre raisonnement que la Cour développe.
S’agissant de la clause de parité, la Cour prend soin de souligner que celle-ci excède le champ d’application de l’article L. 442-6-II dans la mesure où celle-ci va au-delà du bénéfice par le groupe Expedia des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes :
La Cour en conclut que la clause de parité est donc bien contraire à l’article L. 442-6-II mais seulement en tant qu’elle vise un alignement sur les conditions consenties par les hôteliers aux concurrents tiers (par exemple les plateformes concurrentes d’Expedia). En d’autres termes, ce texte ne vise pas les hypothèses dans lesquelles (i) l’hôtelier offre au groupe Expedia les mêmes conditions que celles qu’il pratique directement auprès de ses clients et (ii) le groupe Expedia se voit accorder des conditions plus favorables que celles octroyées à ses concurrents. Comme cela sera précisé ci-après, ces hypothèses relèvent de l’article L. 442-6-I-2°.
S’agissant de la clause de disponibilité de la chambre, la Cour adopte un raisonnement identique à savoir que la clause est contraire à l’article L. 442-6-II en tant qu’elle offre à Expedia un alignement sur les meilleures conditions de disponibilité de chambres offertes aux concurrents d’Expedia. En revanche, cette clause échappe à ce texte lorsqu’elle vise les conditions de disponibilité offertes par l’hôtelier à ses clients.
Selon la Cour, il y a lieu de statuer sur la non-conformité des clauses à l’article L. 442-6-I-2° dans les cas de figure mentionnés ci-avant qui ne sont pas couverts par l’article L. 442-6-II.
Afin d’apprécier si les clauses sont constitutives d’un déséquilibre significatif, la Cour vérifie, selon une pratique désormais bien établie, si les conditions d’application du texte sont réunies.
En premier lieu, la Cour considère qu’il y a bien en l’espèce soumission ou tentative de soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif car le groupe Expedia est au 2ème rang de la réservation hôtelière en ligne et dans un rapport de force défavorable aux hôteliers.
De plus, les clauses litigieuses ont été insérées dans tous les contrats signés par les hôtels qui ne disposaient pas du pouvoir de les négocier et ne pouvaient pas prendre le risque d’être déréférencés par les sociétés du groupe Expedia.
En second lieu, la Cour considère que les deux clauses de parité et de la dernière chambre créent, par leur effet cumulé, un déséquilibre significatif et qu’il y a donc lieu d’en prononcer la nullité. En effet, la Cour souligne que ces clauses limitent l’autonomie de l’hôtelier dans sa politique commerciale et tarifaire puisque, lorsque l’hôtelier dispose de chambres encore disponibles, il doit les accorder au groupe Expedia, ce qui le contraint à payer une commission, mais il doit en plus les lui proposer au tarif le plus bas proposé par ailleurs.
La Cour ajoute en outre qu’il n’est pas démontré que les clauses étaient nécessaires à l’équilibre des contrats ou encore que ce déséquilibre serait compensé par d’autres dispositions du contrat.
Le groupe Expedia se voit enjoindre par la Cour de supprimer de ses contrats les clauses incriminées.
Il convient toutefois de noter que cette injonction est pour partie inutile puisque la loi Macron n°2015-990 du 6 août 2015 a introduit un article L. 311-5-1 du Code du tourisme qui précise que « l’hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire, de quelque nature que ce soit, toute clause contraire étant réputée non écrite ».
En d’autres termes, la clause de parité tarifaire est réputée non écrite depuis l’entrée en vigueur de cette dernière loi.
Enfin, la Cour infirme le jugement qui avait rejeté la demande d’amende civile formulée par le Ministre au motif notamment que l’application de certaines dispositions de l’article L. 442-6 comme loi de police impérative sur le territoire français ne ressortait pas de l’évidence.
La Cour considère à l’inverse que le trouble à l’ordre public économique résultant des pratiques en cause justifie une sanction pécuniaire fixée à 1 million d’euros d’amende civile compte tenu de la gravité de ces pratiques émanant d’opérateurs dont l’intervention est indispensable aux hôteliers pour vendre leurs services et de l’effet d’entraînement que peut avoir le comportement de sociétés de cette taille et de cette notoriété sur les autres opérateurs économiques du secteur.
Le groupe Expedia a déclaré que « Cette décision erronée démontre un manque de compréhension du marché du tourisme en ligne français. […] Expedia a déjà apporté des modifications à ses contrats en 2015 et respecte la loi française applicable » et a annoncé former un pourvoi en cassation.
Affaire à suivre !
1 CA Paris, 21 juin 2017, RG : 15/18784.
2 T. Com. Paris, 7 mai 2015, RG : n°2015000040.
3 Règlement n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ce Règlement a été remplacé, depuis le 10 janvier 2015, par le Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
4 Règlement n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
5 Règlement n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.