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Actualité
15/9/23

CJUE 29 juin 2023 : une pratique de prix imposés ne constitue pas nécessairement une restriction par objet

Le 29 juin 2023, en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Lisbonne, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a dit pour droit qu’une « restriction caractérisée » au sens des règlements d’exemption par catégorie ne saurait être qualifiée de « restriction par objet » en l’absence d’appréciation du degré suffisant de nocivité de la pratique à l’égard de la concurrence.

Dans cette affaire, le groupe Super Bock, dont l’activité principale consiste en la commercialisation de bières et d’eaux embouteillées, aurait fixé et imposé à ses distributeurs des prix minimaux de revente dans le but d’assurer le maintien d’un niveau de prix stable et aligné sur l’ensemble du marché national.

Dans un premier temps, la principale question qui était posée à la CJUE était la suivante :

« La fixation verticale de prix minimaux est-elle en soi une infraction par objet qui ne nécessite pas une appréciation préalable du degré suffisant de nocivité de l’accord ? ».

Cette question revêt une importance fondamentale pour les entreprises puisqu’en présence d’une restriction de concurrence par objet, les autorités de concurrence n’ont pas à caractériser les effets anticoncurrentiels de la pratique en cause, ce qui leur permet d’entrer en voie de condamnation en usant d’un standard de preuve fortement allégé.

Tout d’abord, la CJUE rappelle dans son arrêt que la notion de « restriction de concurrence par objet » doit être interprétée de manière restrictive et qu’elle ne peut être appliquée qu’aux pratiques révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. La Cour précise que pour vérifier si ce critère est rempli, « il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère »1, qui nécessite également d’analyser les potentiels effets pro concurrentiels de la pratique.

Ensuite, à rebours la conception qui consiste à qualifier toute pratique de fixation de prix de « restriction par objet » au motif notamment que les règlements d’exemption par catégorie la qualifient de « restriction caractérisée », la CJUE indique que ces notions « ne sont pas conceptuellement interchangeables et ne coïncident pas nécessairement »2.

Ainsi, en présence d’une pratique de prix imposés, les autorités nationales de concurrence devront désormais s’astreindre à caractériser son « degré suffisant de nocivité » pour pouvoir la qualifier de « restriction par objet ». A défaut, elles devront démontrer les effets anticoncurrentiels de la pratique, ce qui nécessitera de prouver qu’elle a affecté la concurrence, c’est-à-dire qu’elle a eu des effets négatifs sensibles sur les prix, la production, l’innovation, la diversité ou la qualité des produits et services sur le marché considéré.

À noter que si la solution a été dégagée au sujet des pratiques de prix imposés, elle devrait logiquement s’appliquer à toutes les restrictions de concurrence dites « caractérisées » au sens des règlements d’exemption par catégorie.

Dans un second temps, la CJUE était interrogée sur la notion « d’accord » dans les termes suivants :

« La démonstration de l’élément “accord” de l’infraction par fixation (tacite) de prix minimaux pour les distributeurs requiert‑elle de prouver concrètement que les distributeurs ont suivi, dans la pratique, les prix fixés notamment au moyen de preuves directes ? ».

La Cour rappelle que pour qu’il y ait un accord, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause « aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée »3 et, partant qu’un « accord ne saurait donc se fonder sur l’expression d’une politique purement unilatérale d’une partie à un contrat de distribution »4.

Elle rappelle toutefois qu’un « acte ou un comportement apparemment unilatéral constitue un accord, au sens de l’article 101, § 1, TFUE, dès lors qu’il est l’expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n’étant pas déterminante par elle-même »5.

En pratique, cette volonté concordante des parties doit se matérialiser par une « invitation explicite à respecter des prix minimaux de revente » et par « l’existence éventuelle d’un acquiescement, explicite ou tacite, de la part des distributeurs »6.

S’agissant de l’invitation, la Cour évoque la communication par le fournisseur aux distributeurs de listes mentionnant les prix minimaux déterminés par lui et les marges de distribution, ainsi que « le fait qu’il leur demande de les respecter, sous sa surveillance, sous peine de mesures de rétorsion et au risque, en cas de non-respect de ces mesures, d’appliquer des marges de distribution négatives »7. Ce faisant, la Cour insiste particulièrement sur l’existence de mesures de rétorsion concrètes (e.g. suppression des remises commerciales sur l’achat des produits et du remboursement des remises pratiquées par les distributeurs sur la revente).

S’agissant de l’acceptation, la CJUE indique qu’une pratique qui peut apparaitre comme étant unilatérale peut néanmoins matérialiser un accord dès lors que les distributeurs ont respecté les prix minimaux imposés, sans toutefois s’avancer sur un taux de respect permettant de prouver leur acquiescement à la pratique :

« les circonstances que les prix minimaux de revente sont, en pratique, suivis par les distributeurs ou que leur indication est sollicitée par ces derniers, lesquels, tout en se plaignant auprès du fournisseur des prix indiqués, n’en pratiquent pas pour autant d’autres de leur propre initiative, pourraient être de nature à refléter l’acquiescement des distributeurs à la fixation, par le fournisseur, de prix minimaux de revente »8.

Sur ce point, l’arrêt apparaît assez décevant puisqu’il ne clarifie pas le flou entourant le standard de preuve requis en matière d’invitation et d’acquiescement à une pratique de prix minimaux imposés, lequel est relativement fluctuant et source d’insécurité juridique pour les entreprises.

Philippe BONNET / Hadrien JOLIVET / Diem TRAN

1 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §43

2 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §41

3 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §47

4 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §48

5 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §49

6 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §50

7 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22 §52

8 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22, §52

Image par Canva
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