La proposition de loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet » a été adoptée le 9 juillet dernier par l’Assemblée nationale. Comme l’a souligné Laetitia Avia, députée LREM à l’initiative du projet, le « cœur » du dispositif repose sur l’obligation des plateformes en ligne et moteurs de recherche de supprimer tout contenu manifestement illicite dans un délai de 24 heures après leur signalement. Si l’objectif est louable, le dispositif prévu n’est pas exempt de critiques.
L’obligation de retirer tout contenu manifestement illicite n’est pas une innovation puisqu’elle existait déjà dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dite LCEN. La nouveauté réside dans le fait que le projet de loi fixe un délai de retrait de 24 heures après le signalement : on passe ainsi d’un retrait dans un « prompt délai » (LCEN) à un retrait dans les 24 heures du signalement.
La seconde nouveauté, c’est que le projet de loi précise les contours de ce qui relève du « manifestement illicite » : il s’agit des contenus « contrevenant manifestement aux infractions mentionnées au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la LCEN et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse », c’est-à-dire les contenus portant atteinte au respect de la dignité humaine, faisant l’apologie de crimes, constitutifs de provocation et d’incitation à la haine, à la violence, ou d’injure à raison de l’origine, de la race, de la religion, de l’orientation sexuelle, ou de l’identité de genre ; ou encore les contenus constitutifs de harcèlement sexuel, les images pédopornographiques, les contenus relevant du proxénétisme ou de la traite des êtres humains.
Lorsqu’un contenu sera retiré, il sera obligatoire de le conserver pendant une durée d’un an, en cas de recours de l’utilisateur. Il est également prévu que les données supprimées sont conservées pendant un an en vue de faciliter les enquêtes pénales, afin d’établir le caractère illicite ou non du contenu retiré.
Ce nouveau régime s’appliquera aux plateformes en ligne et aux moteurs de recherche. Plusieurs seuils permettant de déterminer les opérateurs qui seront concernés seront fixés par décret et non plus un seuil proche des 2 millions d’utilisateurs mensuels comme cela était prévu initialement lors du passage du texte en Commission. Ainsi, le dispositif sera également applicable aux acteurs de petite taille sur lesquels seraient diffusés des contenus haineux.
Troisième nouveauté : les plateformes en ligne et moteurs de recherche seront tenus à des obligations concernant l’accessibilité à la procédure de signalement. Cette procédure devra être simple, intuitive et ouverte à toute personne physique ou morale (alors qu’elle n’était réservée qu’aux seuls utilisateurs de la plateforme dans le projet initial). De même, l’accès aux informations relatives aux règles en vigueur, moyens de recours et CGU devront être aisément accessibles et rédigés en des termes précis et compréhensibles.
C’est au CSA qu’est confiée la mission de superviser ce dispositif. À cette fin, il publiera des recommandations, des lignes directrices, et un guide pratique pour l’accompagnement des utilisateurs. Il sera également chargé de déterminer les informations qui pourront être rendues publiques par les plateformes dans le cadre de leurs obligations de transparence.
Enfin, il disposera d’un pouvoir de sanction, allant d’une simple mise en demeure jusqu’au prononcé de sanctions financières pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel mondial et pourra mettre en place des mesures de publicité sur le type de sanction prononcée et son montant (pratique du Name & Shame).
Le risque de sanction qui pèse sur les plateformes pourrait se traduire en pratique par une censure démesurée des contenus signalés. Si l’on compare ce dispositif avec le dispositif similaire mis en place depuis 2018 en Allemagne, le « NetzDG » (Acte pour l’application de la loi sur les réseaux), on voit bien que cela pose des difficultés pratiques d’application et risque de conduire les plateformes et moteurs de recherche, au nom du principe de précaution et afin de ne pas s’exposer à une importante sanction pécuniaire, à censurer des contenus signalés comme étant manifestement illicite alors que l’autorité judiciaire, si elle avait été saisie en amont, ne les aurait pas jugé comme tels. En Allemagne, il a été constaté qu’environ 80 % des contenus retirés n’étaient, en réalité, pas illégaux.
Le projet de loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet » a fait l’objet de nombreuses critiques en France, notamment de la part de la Quadrature du Net, de la Ligue des droits de l’Homme et du Conseil national du numérique. C’est en réalité le Juge judiciaire, gardien de la liberté d’expression, qui devrait être « au cœur tant de la procédure de qualification des contenus que de la décision de leur retrait ou blocage ».
Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi, il n’y aura qu’une seule lecture par l’Assemblée nationale, et le Sénat devrait examiner le texte à la rentrée 2019.
Affaire à suivre…