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Actualité
20/2/19

"Grâce à Dieu" la sortie du nouveau film de François Ozon n’est pas suspendue

La sortie prévue aujourd’hui du film « Grâce à Dieu » de François Ozon, évoquant le combat de victimes d’actes de pédophilie dans le cadre de faits reprochés au prêtre Bernard Preynat, mis en examen pour atteintes sexuelles sur de jeunes scouts à la fin des années 80, était menacée par deux actions en justice.

Par une première action du Père Preynat lui-même qui avait saisi le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris pour obtenir la suspension de la diffusion du film jusqu’à l’intervention d’une décision de justice définitive sur la culpabilité des faits dont il est accusé aux motifs d’une atteinte à sa vie privée et à sa présomption d’innocence, la procédure pénale le concernant étant à ce jour au stade des avis de fin d’information.

Dans son ordonnance du 18 février 2019, le Juge des référés exclut d’abord l’atteinte à la vie privée, puisque comme cela est jugé classiquement « La diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas (…) constitutive d’atteinte au respect de la vie privée ». Or, ici, l’affaire judiciaire mettant en cause le Père Peyrat avait rencontré un vif écho médiatique dans la presse, dans des livres sur le sujet, à travers le témoignage public de victimes et lors de l’audience concernant l’affaire pénale dans laquelle était mis en cause, Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs.

L’atteinte à la présomption d’innocence est également écartée. Selon les termes de l’article 9-1 du Code civil, une telle atteinte suppose que la personne soit « avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ».

Le Juge relève d’abord que la première condition de l’article 9-1 du Code civil est remplie, à savoir que le Père Preynat est mis en examen dans une procédure pénale en cours.

Puis, selon la formule désormais classique en jurisprudence, il estime que le film ne manifeste pas de préjugé tenant pour acquise la culpabilité du Père Peyrat. Pour cause : des mesures ont été prises d’office par le réalisateur de « Grâce à Dieu » pour rappeler aux spectateurs la présomption d’innocence dont il bénéficie comme toute personne.

Le film comporte en effet un « carton » au début qui précise que « ce film est une fiction, basée sur des faits réels » et trois « cartons » à la fin rappelant que « Le père Preynat est présumé innocent jusqu’à son procès », que « le cardinal BARBARIN et [les] cinq autres membres du diocèse de Lyon (…) sont présumés innocents » et que « le 3 août 2018 la prescription est passée de 20 à 30 ans dès la majorité des victimes ».

Pour le Juge, ces mesures « répond[e]nt (…) à l’objectif de l’article 9-1 du code civil qui commande de ne pas présenter comme acquise la culpabilité » du demandeur. Cela va de soi effectivement.

Même si ce n’est pas une condition de l’article 9-1 du Code civil, le Juge prend en outre le soin de relever « qu’au jour de la sortie prévue du film, (…) l’éventuel procès de Bernard Preynat n’est ni fixé, ni même prévu à une date proche », de sorte que « la sortie du film à la date prévue n’est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d’assurer la sérénité des débats devant le juge pénal », ceci pour exclure le dommage imminent.

Rappelons que l’action en référé avait été engagée sur le fondement des dispositions de l’article 809 du Code de procédure civile, qui permettent au juge de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent notamment pour prévenir un dommage imminent.

Il en aurait été certainement autrement si la sortie du film avait coïncidé avec les débats judiciaires concernant l’affaire pénale du Père Peyrat.

Le Juge des référés rappelle enfin le principe de proportionnalité cher à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et repris par les tribunaux français : le droit à la vie privée et au respect de la présomption d’innocence doit se concilier avec la liberté d’expression qui ne doit pas être soumise à des mesures d’ingérence disproportionnées.

Or, ici, la mesure visant à retarder la sortie du film jusqu’à l’issue définitive du procès du Père Preynat « pourrait à l’évidence conduire (…) à ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte grave et disproportionnée au principe de la liberté d’expression et à la liberté de création, un tel décalage aboutissant, de fait, à une impossibilité d’exploiter le film, œuvre de l’esprit » et à créer également « des conditions économiques d’exploitation non supportables ».

Le Juge refuse dans ces circonstances d’ordonner la suspension du film. On peut s’en féliciter : une demande de suspension d’un film constitue une mesure d’une exceptionnelle gravité, qui ne peut être prononcée que lorsqu’il existe un risque grave et manifeste d’atteinte aux droits de la personne mise en cause, insusceptible d’être réparée ultérieurement par l’allocation de dommages et intérêts.

Nul doute que ce n’était pas le cas ici : le juge des référés prend d’ailleurs le soin de préciser dans son ordonnance que le rejet de la demande de suspension de diffusion du film n’empêche pas le Père Peyrat de diligenter une action au fond à des fins indemnitaires « La présente décision ne préjudicie évidemment pas d’éventuelles demandes indemnitaires qui pourraient être formées par le demandeur ».

La seconde action engagée par une ancienne membre du diocèse de Lyon, Régine Maire, représentée sous son nom dans le film, devant le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Lyon a elle aussi été rejetée par une décision rendue le 19 février.

Cette femme qui avait comparu début janvier à Lyon aux côtés du cardinal Philippe Barbarin pour ne pas avoir dénoncé à la justice les agressions du Père Preynat, affaire dans laquelle le jugement doit être rendu le 7 mars prochain, sollicitait le retrait de son nom dans le film aux motifs elle aussi d’une atteinte à sa vie privée et à sa présomption d’innocence. Là encore, sa demande a été rejetée ce qui permet la sortie du film aujourd’hui car sinon il aurait fallu rappeler les quelques 300 copies déjà distribuées dans les salles de cinéma et réenregistrer la bande-son pour supprimer son nom, ce qui aurait retardé techniquement la sortie de « Grâce à Dieu ».

Aurélie BREGOU
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