Le 24 novembre dernier, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt significatif dans le cadre d’une action indemnitaire fondée (arrêt de la Cour d’appel, 24 novembre 2021, n°20/04265) sur la décision de l’Autorité de la concurrence sanctionnant le cartel des produits laitiers (décision n°15-D-03 du 11 mars 2015).
Cet arrêt vient infirmer, pour une majeure partie, la décision de première instance du Tribunal de commerce de Paris, dans laquelle les juges ont rejeté l’intégralité de la demande en réparation, faute notamment pour les demanderesses d’avoir réussi à démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le cartel et les préjudices allégués.
Tout d’abord, concernant l’application des dispositions nationales transposant la directive 2014/104, la Cour d’appel ne revient pas sur la position retenue en première instance : les articles L.481-2 et L.481-7 du code de commerce, qui posent des présomptions en faveur de la victime de pratique anticoncurrentielle, sont « de nature substantielle » et ne peuvent dès lors s’appliquer qu’aux faits postérieurs à leur entrée en vigueur, soit le 11 mars 2017.
Ainsi, les faits qui se sont déroulés antérieurement doivent être appréciés au regard du droit commun de la responsabilité civile (article 1240 du code civil), qui fait alors peser la charge de la preuve sur le demandeur.
Ensuite, contrairement aux premiers juges, la Cour d'appel accueille favorablement la démonstration du lien de causalité réalisée par les demanderesses et accepte la réparation de trois des cinq chefs de préjudices invoqués, à savoir (i) le surcoût, (ii) le préjudice ombrelle et (iii) la compensation des effets négatifs résultant du temps. Elle tient compte également de la période d’inertie (iv).
Les juges d’appel infirment le raisonnement du Tribunal de commerce et considèrent que l’analyse réalisée par les demanderesses, fondée sur la méthode des « doubles différences », est « suffisamment robuste pour permettre de démontrer l’existence d’un surcoût effectivement subi et directement lié à la pratique concertée ». Par ailleurs, concernant la répercussion du surcoût, il est indiqué que « si les juges du fond ne peuvent ignorer les analyses économiques théoriques au marché concerné, ils doivent toutefois prendre en compte les éléments pratiques de politique interne de l’entreprise concernée ». En l’espèce, les éléments tarifaires et marketing spécifiques aux demanderesses ont permis à la Cour de considérer que la répercussion du surcoût sur les prix finaux n’a été que partielle.
Les juges ont admis sa réparation. Ce préjudice est compris comme le surcoût subi par le demandeur et résultant de l’augmentation des prix fixés par des entreprises qui ne sont pas parties à l’entente, mais qui décident, délibérément ou non, de s’inscrire dans « le sillage des agissements de cette entente » (CJUE, 30 janvier 2014, Kone, aff. C-557/12).
Les juges l’ont pris en compte de façon assez inédite, dans une section « Actualisation du dommage », et ont d’une part, retenu le taux d’endettement des demanderesses comme taux d’intérêt applicable pour la réparation, et d’autre part, précisé que la période sur laquelle le préjudice est réparé commence à la date « où l’entier préjudice a été constitué », soit la date de cessation de la pratique illicite, jusqu’à la date du prononcé de l’arrêt d’appel. Il convient toutefois de noter que la Cour fait une moyenne des différents taux annuels plutôt que d’appliquer un taux différencié sur chaque année de la période concernée.
La Cour reconnait tout d’abord son existence et l’apprécie par rapport à l’étude économique produite par les rapporteurs de l’Autorité de la concurrence, laquelle avait reconnu qu’elle pouvait varier entre 0 et 10 mois. Jugeant excessivement longue la période retenue par les demanderesses, la Cour d’appel retient néanmoins le délai maximum envisagé, soit 10 mois à compter de la cessation des pratiques.
Enfin, les juges d’appel rejettent la réparation des préjudices liés à l’effet volume et à la perte de marge liée au report d’une partie de la clientèle vers d’autres enseignes, pour défaut de preuve.
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