Le Crowdfunding, ou financement participatif, est une technique de financement de projets qui utilise en général Internet pour permettre la mise en relation de porteurs de projets avec de nombreuses personnes physiques, et cela afin d’obtenir un financement de la part de ces dernières.
Le crowdfunding peut concerner toutes sortes de projets : production de films, financement d’une thèse, création d’entreprises… Le financement intervient soit (i) via un don, (ii) soit via un prêt ou (iii) soit via une participation aux fonds propres s’agissant de sociétés (on parle alors d’Equity Crowdfunding).
C’est cette dernière forme de crowdfunding qui nous intéressera particulièrement dans le cadre des présentes.
L’Equity Crowdfunding a connu un essor important au cours des dernières années, tout d’abord aux Etats-Unis et désormais en Europe. Plusieurs sociétés françaises se sont positionnées sur cette activité qui permet un financement des PME au stade de l’amorçage (prises de participation avec des tickets d’investissement de l’ordre de 100.000 € à 500.000 €).
Toutefois, à ce jour, en l’absence d’une réglementation spécifique sur le crowdfunding en France et en Europe, ces sociétés sont confrontées à des contraintes réglementaires (dont la plupart font peu sens dans le cadre d’opérations de petite envergure) qui limitent leur capacité d’action. S’agissant de l’equity crowdfunding, ces contraintes sont principalement la réglementation sur la fourniture de services d’investissements et la réglementation sur l’offre au public de titres financiers.
Afin de faire évoluer la règlementation dans un sens qui leur soit plus favorable, les acteurs du secteur se sont regroupés au sein de l’association Financement Participatif France (FinPart) et ont publiés plusieurs travaux dont notamment un livre blanc sur le financement participatif1 et une présentation en vue des Assises de l’Entreprenariat2. Ces travaux se réfèrent notamment aux évolutions législatives récentes intervenues aux États-Unis3.
Les acteurs du secteur ont été entendus ; en effet, confronté à une raréfaction des financements aux entreprises et à un nécessaire soutien de ces dernières pour favoriser l’emploi, François Hollande a annoncé4 fin avril vouloir favoriser le crowdfunding et modifier la réglementation.
En parallèle, compte tenu de l’actualité du sujet, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) se sont également saisies de la question. Elles ont ainsi publié deux guides dont l’un est à destination du grand public5 et l’autre des plateformes de crowdfunding6. Ce dernier guide vise à rappeler aux plateformes les différentes réglementations auxquelles elles sont soumises dans l’attente de la mise en place d’un nouveau cadre réglementaire.
Un projet de réglementation est donc en cours pour présentation en septembre 2013. Le texte sera ensuite soumis à consultation publique pendant une période de deux mois, l’objectif étant que le texte puisse être adopté avant la fin de l’année.
Par ailleurs, Michel Barnier, en sa qualité de membre de la Commission Européenne, chargé du Marché Intérieur et des Services, présidait le 3 juin dernier un atelier sur le crowdfunding7. Une intervention au niveau européen est en effet cruciale, la réglementation française découlant en matière financière très largement des directives communautaires. Cela ne va pas sans poser de problème en termes de calendrier, les réformes du droit européen impliquant un délai de mise en œuvre de l’ordre de deux à trois ans.
Nous examinons ci-après les contraintes réglementaires auxquelles sont confrontés les acteurs de l’equity crowdfunding, à savoir la fourniture de services d’investissements (1) et l’offre au public de titres financiers (2)8, ainsi que les évolutions réglementaires envisagées à date.
Nous rappelons que les plateformes d’equity crowdfunding agissent en tant qu’intermédiaire en mettant en relation un entrepreneur à la recherche de financements et des épargnants souhaitant investir. Notamment, les plateformes sélectionnent les projets puis les présentent aux investisseurs sur leur site Internet.
Dans ce cadre, les plateformes sont susceptibles de fournir un ou plusieurs services d’investissements portant sur des instruments financiers, à savoir :
Dès lors, les plateformes de crowdfunding qui fournissent, à titre de profession habituelle, un ou plusieurs des services d’investissements énumérés ci-dessus, doivent être agréées en tant que prestataire de services d’investissement (PSI) ou habilitées en tant qu’agent lié ou conseiller en investissements financiers (CIF). Il est à noter que ces différents statuts ne permettent par ailleurs pas tous d’exercer la totalité des services d’investissements prévus par la loi !
Il est clair qu’un capital minimum de 730.000 € n’est pas adapté aux plateformes d’equity crowdfunding qui sont pour la plupart des sociétés indépendantes créées au cours des 3-4 dernières années.
En pratique, la quasi-totalité des plateformes d’equity crowdfunding sont agréées en tant que CIF ; à ce titre, elles adhérent au code ANACOFI-CIF9 et elles sont inscrites au registre unique des intermédiaires en assurance banque et finance.
Afin de sortir de ce maquis, l’association FinPart propose la création du nouveau statut de « courtier en financement participatif », qui serait assorti d’obligations allégées et qui serait réservé aux seules plateformes de crowdfunding.
Il est en outre proposé que le statut de courtier en financement participatif soit conjugué avec un outil spécifique, le fonds commun participatif (inspiré du fonds communs de placement et du fonds commun de créances), qui permettrait une mise en commun des participations des investisseurs. Ce fonds serait géré, via une délégation, par un courtier en financement participatif et représenterait la matérialisation des droits acquis par les contributeurs en contrepartie de leurs investissements.
La mise en place de ce nouveau statut impliquera toutefois une réforme législative au niveau européen.
Afin de pallier cette difficulté, l’association PME Finance propose une réforme en deux temps : (i) création à terme d’un Etablissement Européen de Financement Participatif, et (ii) mise en place immédiate, dans l’attente du statut européen, d’un statut allégé (ou limité !) et temporaire d’établissement de financement participatif français (« ce statut national serait le 1er étage d’une réforme plus large à intervenir au niveau européen10 »).
Les plateformes d’equity crowdfunding sont également confrontées à la réglementation relative à l’offre au public de titres financiers.
Rappelons que l’offre au public de titres financiers11 est constituée par « une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l’offre et sur les titres à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou de souscrire ces titres financiers » ou par « un placement de titres financiers par des intermédiaires financiers ». Elle a notamment pour conséquence l’obligation de publication d’un prospectus soumis au visa préalable de l’AMF.
Toutefois, plusieurs dérogations sont prévues12, parmi lesquelles :
En outre, ne constitue pas une offre au public de titres financiers, l’offre qui intervient par voie de placement privé, c’est-à-dire qui est adressée exclusivement à des investisseurs qualifiés agissant pour compte propre (personnes ou entités disposant des compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers dont la liste est fixée par décret) ou qui ne concerne qu’un cercle restreint d’investisseurs (soit un maximum de 150 personnes).
Cette réglementation demeure néanmoins critiquée par les acteurs de l’equity crowdfunding :
Aux Etats unis, le JOBS Act a introduit les nouvelles dérogations suivantes au régime de l’offre au public de titres financiers :
L’Association FinPart milite pour l’adoption de mesures similaires en France et en Europe.
Cela impliquerait, au niveau européen, de modifier l’article 3 de la directive Prospectus13 énumérant les cas de dispense d’établissement d’un prospectus. Au niveau national, l’article L 411-2 du Code monétaire et financier, ainsi que le Règlement Général de l’AMF, devraient faire l’objet de modifications dans le même sens.
Comme indiqué ci-avant l’equity crowdfunding est à la mode. Il s’inscrit notamment dans le courant de fonds de la désintermédiation permise par Internet. Sa spécificité résulte dans l’addition de micro-financements devant permettre une limitation des risques de pertes pour les investisseurs.
Il apparait que les cadres réglementaires existants, français et européens, ne sont pas réellement adaptés à l’equity crowdfunding et le Gouvernement s’est engagé sur l’annonce de propositions de réforme en septembre prochain. L’équilibre devra être trouvé entre le soutien au financement des PME et la protection des investisseurs. Le Gouvernement devra en outre faire preuve de créativité s’agissant de réformes à court-terme, la marge de manœuvre demeurant étroite en l’absence de modification des règles européennes.
1 Livre Blanc-Finance Participative, Plaidoyer et propositions pour un nouveau cadre réglementaire, juin 2012 ; un livre blanc pour 2013 est en cours de rédaction.
2 Finance Participative et Cadre Réglementaire, Assises de l’Entrepreneuriat, lundi 28 janvier 2013.
3 Aux Etats unis, le gouvernement américain a rapidement pris conscience de la nécessité d’adopter un cadre légal approprié à la pratique du crowdfunding afin de faciliter l’activité des plateformes et leur développement. C’est ainsi qu’a été signé, le 5 avril 2012, le JOBS Act (« Jumpstart Our Business Startups ») lequel contient, dans son titre III, une section spécifique au crowdfunding (« le Crowdfund Act »).
4 Discours du Président de la République de clôture des assises de l’entrepreneuriat le 29 avril 2013
5 Guide du financement participatif (crowdfunding) à destination du grand public, publié le 14 mai 2013
6 Guide du financement participatif (crowdfunding) à destination des plates-formes et porteurs de projets, publié le 14 mai 2013
7 Financement participatif : quel (s) cadre (s) mettre en place au niveau européen pour en saisir le potentiel tout en limitant les risques
8 A noter en outre, que dans l’hypothèse où la plateforme de crowdfunding serait proactive (envois de mails de sollicitation), la réglementation relative au démarchage financier aurait également vocation à s’appliquer.
9 Code de bonne conduite de l’ANACOFI-CIF (Association nationale des conseils financiers)
10 PME Finance « Pour un établissement Européen de Financement Participatif » Mai 2013
11 Article L 411-1 du Code monétaire et financier
12 Article L 412-1 du Code monétaire et financier
13 Directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE.