Il est désormais acquis que les personnes publiques, malgré leur mission de service public, doivent se soumettre aux règles de concurrence.
En effet, « Les personnes publiques sont chargées d’assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique ; qu’en outre, si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de la concurrence. » (C.E. Ass. 31 mai 2006, n° 275531 Ordre des avocats au barreau de Paris).
Le droit de la concurrence a donc vocation à s’appliquer à tout opérateur public exerçant une activité économique, notamment lorsqu’une autorité publique intervient sur un marché concurrentiel (C.E. Sect. 3 novembre 1997, Million et Marais). D’ailleurs, l’autorité utilise la notion de « marché qui fonctionne de manière concurrentielle » (avis n° 04-A-13, Service Emploi Entreprise).
Néanmoins, pour engager la responsabilité des personnes publiques du fait des pratiques anticoncurrentielles il importe de saisir la juridiction compétente. C’est d’ailleurs ce que rappelle la chambre commerciale dans son arrêt du 8 avril 2014.
Dans cette affaire, une société, qui exploite une galerie à New-York, et son dirigeant estiment que deux établissements publics, la manufacture de Sèvres et le Musée Guimet, se sont livrés à des pratiques anticoncurrentielles en mettant en partie leurs moyens au service d’un projet commercial privé initié par un concurrent. La société assigne alors les deux établissements publics en réparation de son préjudice devant la juridiction judiciaire.
La Manufacture de Sèvres et le Musée Guimet, en se fondant sur leur nature d’établissement public exerçant une mission de service public, soulèvent devant le juge de la mise en état l’incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative.
Suite à l’ordonnance de rejet du juge de la mise en état, l’exception d’incompétence est à nouveau écartée par la Cour d’appel de Paris.
La Chambre commerciale a considéré, dans un attendu de principe, au visa de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III[1], que le juge administratif est le seul compétent pour statuer sur la responsabilité d’une personne publique lorsque le dommage qui lui est imputé résulte d’une activité de service public à caractère administratif.
La Cour précise ensuite, sur le fondement de la combinaison des articles L. 410-1, L. 464-7 et L. 464-8 du code de commerce , que si les personnes publiques peuvent faire l’objet de décisions de l’Autorité de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire, ce transfert de compétence se limite au seul contentieux ainsi visé, relatif aux décisions rendues par cette Autorité en matière de pratiques anticoncurrentielles.
Par conséquent, la Cour d’appel a donc excédé sa compétence et violé les textes susvisés en statuant sur la responsabilité de la manufacture de Sèvres et du Musée Guimet.
Com, 8 avril 2014, n˚ 13-11.765, FS-P+B
[1] Il est à noter que la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III (2 septembre 1795) proscrivent aux tribunaux judiciaires de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs ».