Dans son arrêt en date du 19 novembre 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur la compatibilité de la réglementation française limitant la commercialisation du cannabis avec le droit de l’Union européenne.
Deux associés ont fondé une société afin de commercialiser une cigarette électronique dont le liquide contient du cannabidiol (CBD). Le CBD est extrait du « cannabis sativa » ou « chanvre », car cette plante en contient un taux élevé. En revanche, elle ne contient qu’un taux faible de tétrahydrocannabinol (THC) qui est la molécule psychotrope du cannabis.
Le CBD contenu dans le liquide des cigarettes électroniques est issu de la totalité de plants de cannabis sativa cultivé légalement en République tchèque. Importée en France par la société, elle le commercialise dans des cartouches de cigarettes électroniques.
Or, la réglementation française en matière de commercialisation des produits issus du cannabis est très stricte. L’article R-5132-86 du code de la santé publique pose une interdiction de principe à la commercialisation des tétrahydrocannabinols ainsi qu’à celle du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine.
La seule exception, prévue à ce texte, vise des graines et des fibres de variétés spécifiques de Cannabis sativa L. (plus communément appelé le chanvre) si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
En pratique, il est donc très difficile de commercialiser en France des produits dérivés du CBD qui respectent parfaitement la législation.
C’est ainsi que les autorités françaises ont donc engagé des poursuites contre les fondateurs de la société pour infraction à la législation en matière de stupéfiants.
Par un jugement du 8 janvier 2018, le tribunal correctionnel de Marseille a, notamment, déclaré les deux associés coupables de plusieurs chefs d’infraction à la législation relative aux substances vénéneuses.
Le tribunal les condamne respectivement à 18 et à 15 mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende chacun. Ils sont également condamnés à payer solidairement 5 000 euros de dommage et intérêt au Conseil national de l’ordre des pharmaciens et 600 euros en application du code de procédure pénale. Les deux associés ont interjeté appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Dans le cadre du réexamen de l’affaire, les juges du second degré s’interrogent sur la conformité de la réglementation française qui a servi de base à la condamnation en première instance avec le droit de l’Union européenne. La cour d’appel d’Aix-en-Provence décide de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle visant à déterminer si la limitation de la culture du chanvre, de son industrialisation et de sa commercialisation aux seules fibres et graines édictées par le droit français est conforme au droit de l’Union européenne.
Après avoir examiné la réglementation française et la réglementation européenne, la Cour énonce la réponse suivante :
« Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 34 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre État membre, lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines, à moins que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de la protection de la santé publique et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint ».
Au-delà de son impact sur la situation des deux associés condamnés en première instance par le tribunal correctionnel de Marseille, cet arrêt pourrait avoir un impact bien plus large et remettre en cause la position stricte de la réglementation française sur la commercialisation des produits à base de CBD.
En effet, si la Cour laisse entendre qu’il est possible pour un Etat de s’opposer à la commercialisation du CBD lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines dans un objectif de la protection de la santé publique elle énonce, également en amont de ce dispositif que « le CBD en cause au principal n’apparaît pas avoir d’effet psychotrope et d’effet nocif sur la santé humaine sur la base des données scientifiques disponibles. ».
Dans les faits, cet arrêt porte un coup réel et sérieux à l’interdiction des produits contenant du CBD issu de l’intégralité de la plante de cannabis sativa.
L’approche restrictive des autorités françaises à propos de CBD devra donc très certainement être réexaminée dans le sillage de cet arrêt.