Le 30 avril 2020 (C-772/18), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu une décision précisant l’expression d’« usage dans la vie des affaires » et offrant ainsi une meilleure acception de cette notion essentielle au contentieux de la marque.
Une personne, B, avait reçu en provenance de Chine, 710 kg de roulements à billes (pièces de rechange) sur lesquels apparaissait le signe correspondant à la marque verbale INA dont A était titulaire, notamment pour des « Roulements ». B avait fait procéder au dédouanement du lot puis ramené à son domicile où il l’avait stocké quelques semaines. Enfin, il avait remis les produits à un tiers afin qu’ils puissent être exportés en Russie. En contrepartie de cette opération, B avait simplement reçu une cartouche de cigarettes et une bouteille de cognac.
La juridiction de première instance finlandaise avait relaxé B sur le plan pénal car l’élément intentionnel ne pouvait être établi mais il a été condamné à des dommages et intérêts civils. Il a alors fait appel de cette décision.
La Cour d’appel de Helsinki a quant à elle considéré que le prévenu n’avait pas fait un usage dans la vie des affaires d’un signe similaire à la marque INA. Cette décision était fondée sur un précédent jurisprudentiel (CJUE, 16 juillet 2015, TOP Logistics, C-379/74) selon lequel le propriétaire d’un entrepôt fiscal et douanier, qui se borne à entreposer pour le compte d’un tiers des produits revêtus d’un signe identique ou similaire à une marque, ne fait pas usage de ce signe.
Ici, B s’est limité à une activité d’entreposage et de transit et sans objectif d’en retirer un avantage économique. D’autre part, la rétribution qu’il a perçue ne constitue que la contrepartie de cet entreposage pour le compte d’un tiers et non le résultat de l’exploitation des marchandises. Dès lors, il n’avait pas à réparer le préjudice causé au titulaire de la marque en cause.
Ce dernier a donc formé un pourvoi devant la Cour suprême de Finland qui a décidé de surseoir à statuer. C’est donc à l’occasion d’un renvoi préjudiciel que la CJUE a dû se prononcer sur 4 questions.
La CJUE a alors considéré qu’il convenait de les examiner ensemble et donc de déterminer :
« si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/95, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 3, sous b) et c), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’une personne n’exerçant pas une activité commerciale à titre professionnel qui réceptionne, met en libre pratique dans un État membre et conserve des produits manifestement non destinés à l’usage privé qui ont été expédiés à son adresse depuis un pays tiers et sur lesquels une marque, sans le consentement du titulaire, est apposée doit être regardée comme faisant usage de la marque dans la vie des affaires, au sens de la première de ces dispositions ».
En réalité, il s’agissait de déterminer quels critères sont pertinents et quelles conditions une personne doit remplir afin d’être regardée comme faisant usage d’un signe dans la vie des affaires. Pour y répondre, la CJUE a procédé en différentes étapes.
Elle indique que l’appréciation d’un usage dans la vie des affaires doit se faire sur la base d’éléments objectifs. La Cour se réfère à sa jurisprudence L’Oréal du 12 juillet 2011, (C‑324/09) et rappelle que l’expression « usage dans la vie des affaires » implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que dans le contexte d’une activité commerciale.
Ainsi, si les opérations effectuées dépassent, en raison de leur volume, de leur fréquence ou d’autres caractéristiques, la sphère d’une activité privée, celui qui les accomplit se place dans le cadre de la vie des affaires.
Nous pouvons apprécier une analyse in concreto de la part de la Cour qui a pris en compte la nature ainsi que le volume des produits en cause. Ils se sont attachés au fait de l’espèce et notamment à la commande d’une masse de 710 kilos de « roulements ». Ces pièces de rechange étant destinés au secteur de la construction, l’usage souhaité n’était manifestement pas privé. B entendait donc les prêter à une activité commerciale.
La Cour rappelle également que le fait d’agir pour le compte d’un tiers et de ne pas posséder de titre sur les produits litigieux n’empêchent pas à la notion d’usage dans la vie des affaires d’exister (L’Oréal du 12 juillet 2011, C‑324/09).
Enfin, la CJUE a précisé que le montant de la rémunération (en l’occurrence le caractère minime de l’avantage économique obtenu par une personne) était sans incidence sur la qualification d’usage dans la vie des affaires.
L’élément déterminant de cette affaire fût celui de l’importation. B avait eu un comportement relativement passif puisqu’il s’était contenté de communiquer son adresse et avait mis les marchandises en libre pratique. Sa participation se limitait à réceptionner les marchandises à « son adresse » sans que celle-ci n’aient été expédiées à sa demande.
Or, pour la Cour, le seul fait « qu’une personne a importé et mis en libre pratique de tels produits suffit pour constater qu’elle a agi dans la vie des affaires ».
Une « participation active » n’était pas nécessaire pour qualifier ces agissements d’importation et cet acte est tant probant qu’il n’est pas nécessaire pour la Cour, de s’intéresser au « traitement ultérieur de ces produits ».
La CJUE a ainsi considéré :
« qu’une personne n’exerçant pas une activité commerciale à titre professionnel qui réceptionne, met en libre pratique dans un État membre et conserve des produits manifestement non destinés à l’usage privé, qui ont été expédiés à son adresse depuis un pays tiers et sur lesquels une marque, sans le consentement du titulaire, est apposée doit être regardée comme faisant usage de la marque dans la vie des affaires, au sens de la première de ces dispositions ».
Par cet arrêt la Cour vient d’une part rappeler les règles directrices qui régissent la notion d’« usage dans la vie des affaires » mais également en préciser les contours. Cette notion et son impact dans la reconnaissance des actes de contrefaçon revêt une importance telle qu’il convient d’en connaître les critères d’analyse.