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Actualité
1/6/17

Prérogatives économiques : notion de communication publique, first sale doctrine et Peter Pan !

Dans le système continental, les prérogatives du droit d’auteur sont à la fois patrimoniales et morales.

Le copyright, n’ignore pas les prérogatives morales même si elles ont été consacrées très tardivement, en 1998 pour le Royaume-Uni, et en 1990 pour les Etats-Unis à la suite de l’adhésion à la Convention de Berne. Celles-ci, toutefois, nous semblent plutôt devoir être envisagées comme des limites à l’exploitation des œuvres, que comme l’expression d’un pouvoir de l’auteur, pour des raisons exposées dans une brève à venir. Nous évoquerons ici les droits économiques en distinguant le CDPA et le Copyright Act.

Selon la section 16 (1) du CDPA, le titulaire du copyright est investi des prérogatives suivantes : droit de reproduction, droit de distribution, droit de location, droit de représentation publique, droit de communication de l’œuvre au public, droit d’adaptation.

La difficulté d’appréhension des droits économiques dans le CDPA tient en partie au fait qu’ils ne concernent pas toujours les mêmes œuvres. Par exemple, le droit d’adaptation n’existe que pour les œuvres littéraires, dramatiques, et musicales mais non pour les œuvres artistiques.

Les juges britanniques, surtout ne retiennent pas la même définition de la communication publique que celle qui est retenue par la Cour de justice de l’Union européenne. Le droit de communication au public est ainsi envisagé à la section 20 du CDPA. Ce droit, qui est censé transposer la directive société de l’information, concerne toutes les œuvres énumérées à propos du droit de télédiffusion. Ce droit se distingue du Performing Right, ou droit de représentation par le fait qu’il n’implique pas la présence du public au lieu où l’œuvre est diffusée.

Cela signifie concrètement qu’un concert au Barbican relève du Performing Right alors que l’écoute de la radio met en œuvre le droit de communication au public. La particularité du droit britannique tient ici au fait que la communication est restreinte à la communication électronique, elle-même définie restrictivement à la section 178.

Cela contredit donc la jurisprudence très large de la Cour de justice de l’Union sur la notion de communication (et il est très peu probable que la position des juges  change avec le Brexit). Précisons, avant d’en venir au droit américain, que le CDPA consacre un curieux droit d’exploitation perpétuel (!) au profit du Great Ormond Street Hospital pour l’utilisation de l’œuvre de Peter Pan (voir la section 301). James Matthew Barrie, auteur du personnage Peter Pan, avait en effet cédé ses droits à cette institution en 1919. La protection de l’œuvre a expiré en 1987. A l’occasion de l’adoption du CDPA, le législateur a conféré au Great Ormond Street Hospital un droit à rémunération perpetuel pour toute exploitation du personnage.

La finalité est louable mais le procédé consistant à refaire vivre des œuvres tombées dans le domaine public (ou à éviter leur chute, que l’on se souvienne de l’exemple de Mickey aux États-Unis) est assez détestable.

Dans le Copyright Act, c’est la section 106 qui donne la liste des droits exclusifs réservés au titulaire. Comme dans le système britannique, certains droits sont attachés à toutes les œuvres, tandis que d’autres ne concernent que certaines créations. C’est bien là un trait caractéristique du copyright soucieux de déterminer un régime spécifique pour chaque œuvre.

Parmi les cinq prérogatives principales (droit de reproduction, le droit production des œuvres dérivées, le droit de distribution publique, le droit de représentation publique et le droit d’exposition publique), notre attention portera sur le droit de distribution et son épuisement ou first sale doctrine. La doctrine de la première vente est posée à la section 106 (3).

Considéré du point de vue de l’auteur, cette doctrine signifie que le titulaire du droit a perdu le droit de contrôler les exemplaires de l’œuvre après une première mise en circulation. Appréhendé du côté du propriétaire du support, elle signifie que celui-ci a le droit de revendre librement les exemplaires de l’œuvre. L’une des questions posée à la first sale doctrine est de savoir si elle s’applique à la copie numérique. Une réponse négative a été très clairement apportée par le juge américain dans un arrêt dit ReDigi à un moment ou la Cour de justice décidait du contraire.

L'arrêt UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp

Pour bien comprendre la solution de l’arrêt du 30 Mars 20131, un rappel des faits s’impose.

a) Rappel des faits

ReDigi est le premier site mondial pour la musique numérique d’occasion. La technologie qu’il propose est la suivante : les usagers sont invités à « vendre » les fichiers musicaux qu’ils ont légalement acquis et à « acheter » des fichiers d’occasion à un prix modique. Les vendeurs ne perçoivent pas en réalité d’argent mais des « crédits » qui leur permettent d’acheter d’autres fichiers. Pour vendre, l’usager doit, tout d’abord, télécharger un logiciel qui analyse son ordinateur afin d’établir une liste de fichiers musicaux pouvant être vendus (ceux-ci doivent impérativement être achetés sur iTunes ou à un autre utilisateur de ReDigi) Ensuite, le logiciel s’assure que le fichier vendu a disparu de l’ordinateur du vendeur pour ne plus y réapparaitre. Une fois la liste établie, un utilisateur peut choisir les morceaux sur un serveur qui comprend tous les fichiers disponibles.

Capitol a assigné sur le fondement du Copyright Act le site proposant ce service innovant.

b) La décision de la CJUE

Le juge a estimé qu’il y avait une violation du droit de reproduction et du droit de distribution qui ne pouvait pas être épuisé à travers de la doctrine de la première vente. Selon lui, un fichier musical vendu sur ReDigi ne remplit pas la condition posée par l’article 109 (a) du Copyright Act (l’œuvre doit être légalement fabriqué au sens de la loi). Il juge surtout que la doctrine de l’épuisement ne peut, en l’état de la législation, s’appliquer à la distribution immatérielle.

Cette position est en tout point différente de celle adoptée par la Cour de justice le 3 juillet 2012. Rappelons, en effet, que la Cour de justice a considéré, que le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur était épuisé lorsque le titulaire du droit, qui avait autorisé le téléchargement de cette copie sur un support informatique à partir d’internet, avait également conféré à titre onéreux un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de temps2.

Dans la rigueur des principes civilistes (notion de vente), cette solution peut sembler critiquable.
Dans une logique plus économique, le mode de transmission en ligne peut être considéré comme l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel (la CJUCE le précise). Ou l’on voit que la logique du copyright prévaut en Europe et la rigueur civiliste s’impose aux États-Unis.

Jean-Michel BRUGUIERE

1 United States District Court, Southern District of New York Capitol Records, LLC v. ReDigi Inc., 30 mars 2013 n° 12 Civ. 95 (RJS)

2 CJUE gde ch., 3 juill. 2012, , UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp aff. C-128/11

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